Quels sont les impacts de la technologie BIM en assurance construction ?
Qu’est-ce que la technologie BIM ?
Le BIM (BUILDING INFORMATION MODELLING) est un processus de construction numérique donnant naissance à une maquette numérique représentant de façon virtuelle un ouvrage et intégrant des vues géométriques de cet ouvrage.
Cette maquette permet de représenter l’ouvrage tout au long de son cycle de construction et d’exploitation.
Outre le caractère numérique de l’outil (adieu les plans papiers gigantesques !), l’innovation réside dans le fait que ce dernier devient commun et collaboratif entre tous les intervenants à l’acte de construire mais également à ceux intervenant post-réception dans le cadre de travaux de maintenance ou d’entretien.
Les constructeurs qui avaient l’habitude d’utiliser leurs propres plans et maquettes peuvent, par le BIM, interagir et collaborer avec les autres intervenants grâce à une maquette digitale sur laquelle ils détiennent, tous, un droit d’accès et de modifications (avec recensement des actions de chacun grâce à un historique).
Cela induit une diffusion des données à tous les intervenants au chantier tout le long de sa conception et de sa construction.
Parmi les intervenants au chantier, est donc apparu une nouvelle entité : le BIM Manager qui devient le « chef d’orchestre » du chantier grâce à sa maquette numérique. Il accompagne l’ensemble des intervenants dans la mise en place et l’utilisation de la maquette numérique en rédigeant notamment la convention BIM qui regroupe l’ensemble des procédures collaboratives et les règles à suivre pour produire et transmettre les données qui figureront dans la modélisation numérique.
Dans le domaine de la commande publique, le BIM a été consacré même si la France n’a pas fait le choix de rendre obligatoire le recours à des outils BIM dans le cadre de la passation de marchés publics (Article R2132-10 de la Commande Publique qui dispose que « l’acheteur peut, si nécessaire, exiger l’utilisation d’outils ou de dispositifs qui ne sont pas communément disponibles, tels que des outils de modélisation électronique des données du bâtiment ou des outils similaires ».
Ainsi, le nouveau CCAG des marchés publics Travaux et Maîtrise d’œuvre y font désormais référence dans leur article 2.
Alors si le BIM est récent dans le domaine de la construction en France, il est intéressant de s’interroger sur les impacts qu’il peut avoir sur notre régime d’assurance construction… et les incidences seront à tous niveaux.
En quoi le BIM diminue les risques en cours de chantier ?
Rappelons brièvement que l’assurance Tous Risques Chantier a vocation à intervenir pour les dommages affectant l’ouvrage en cours de chantier.
Le recours au BIM entraine nécessairement une meilleure maitrise des risques en phase chantier puisque la modélisation va induire une anticipation de ces risques avant même le début des travaux sur site. Il va permettre de mieux documenter les techniques de chaque intervenant pour prévenir les incompatibilités techniques qui pourraient survenir entre deux lots.
Si l’on sort des garanties stricto sensu de la TRC et que l’on s’attache à une vision plus globale des risques avant réception, le BIM permet également de maitriser au mieux le planning de réalisation de l’ouvrage en organisant les interventions de chacun à chaque étape de la construction mais également en anticipant les risques liés à la coactivités des intervenants en phase chantier ce qui va également réduire les accidents de chantiers qui peuvent survenir lorsque que plusieurs entreprises sont présentes sur site. Par exemple, la modélisation issue du BIM permet de visualiser les risques de collisions entre les ouvriers et les engins de chantier, de mettre en lumière les zones les plus dangereuses sur le chantier nécessitant un EPI spécifiques au risque encouru.
En identifiant les risques, en traçant les actions correctives à mettre en place dès la phase projet, le BIM devient un acteur de la prévention du risque et contribuerait à la diminution des sinistres.
Le BIM développe un risque nouveau : le risque cyber
Toutefois, si le BIM contribue à réduire certains risques en cours de chantier, il en induit un nouveau : le risque de Cyber attaque et de virus. Historiquement peu digitalisé, le monde de la construction, en ayant recours désormais aux technologies nouvelles comme le BIM, se confronte à la question de la cybersécurité. Les risques sont nombreux en cas d’attaques malveillantes du logiciel permettant le BIM : vol ou pertes des données, altération de la maquette créée pouvant conduire à un arrêt de chantier.
Alors comment le monde de l’assurance a pris en compte ce nouveau risque ?
Sur le marché assurantiel, une TRC Cyber intervenant en option de la TRC permet de couvrir toutes les données numériques du chantier et notamment la maquette numérique. Cette garantie prend en charge les frais de décontamination et de reconstitution des données, les frais résultants de l’obligation de notification des tiers imposées par la RGPD, les frais de gestion de crise, les coûts liés aux pertes d’exploitation et les retards de chantiers éventuels et elle bénéficie … à l’ensemble des intervenants au chantier.
En quoi le BIM pourrait révolutionner l’assurance Dommages Ouvrage ?
A l’instar de l’impact du BIM sur les risques en cours de chantier, le BIM pourrait induire des changements dans le cadre de la Dommages Ouvrage. En premier lieu, la prévention du risque opérée par la la modélisimplique une amélioration de la qualité de construction visant à diminuer les sinistres post-réception notamment les sinistres liés à la conception. S’agissant de la phase exécution des travaux, le BIM ne permet pas une disparition totale des désordres liés à l’exécution même des travaux (l’erreur est humaine après tout) mais il peut conduire à un meilleur suivi d’exécution.
L’instruction même d’un dossier Dommages Ouvrage pourrait (le conditionnel est de mise) être révolutionné par le BIM.
La modélisation créée pourrait devenir un outil important dans le cadre d’une expertise en Dommages Ouvrage par la traçabilité des actions de chaque intervenant en toute phase du chantier. Le BIM serait un bon moyen de répondre aisément à la sacrosainte question « qui a fait quoi ? » et donc de régler plus aisément, pour l’assureur Dommages Ouvrage, la question de l’imputabilité des désordres et la préservation de ses recours auprès des assureurs de Responsabilité Civile Décennale des entreprises concernées par le sinistre en cause.
En outre, la détermination de la réparation pérenne et efficace des désordres (car n’oublions pas que l’assureur Dommages Ouvrage est tenu d’une obligation de résultat quant à la pérennité et l’efficacité des travaux de réparation) pourrait se trouver faciliter lorsque le Maître de l’ouvrage a eu recours au BIM car l’ensemble des données numériques enregistrées mises à disposition de l’expert Dommages Ouvrage l’aiderait à trouver la meilleure technique de réparation au regard de celles utilisées sur l’ensemble de l’ouvrage en phase construction.
Que change le BIM pour l’assurance Responsabilité Civile Décennale ?
C’est le pendant de la Dommages Ouvrage. Pour rappel, c’est l’article 1792 du Code Civil qui définit la Responsabilité Civile Décennale en disposant : Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère ».
A la lecture de cet article, nous pouvons directement voir l’implication que peut avoir le BIM dans le cadre juridique cité.
Nous ne rappelons que rapidement ce qui a été évoqué précédemment ; à savoir une meilleure traçabilité permettant une meilleure recherche des responsabilités de chacun. Nous pourrions, dans cette hypothèse, éventuellement espérer une diminution de la technique de « saupoudrage » des responsabilités qui peut être récurrente lorsque les experts ne parviennent pas à les déterminer clairement et notamment dans le cadre des expertises judiciaires.
Par ailleurs, avec le BIM, se pose la question de l’arrivée de nouveaux métiers (BIM Manager notamment) pouvant rentrer dans le cadre de la définition de « constructeurs » impliquant une obligation d’assurance au titre de la Responsabilité Civile Décennale.
Si le BIM Manager, contractuellement liée au Maître de l’ouvrage fournit des services d’ingénierie et de construction en complément de ses compétences informatiques, alors il sera réputé constructeur et pourra voir sa responsabilité engagée en cas de désordre de nature décennale. Il faudra donc que cet intervenant dispose d’une assurance RCD reprenant, au titre de ses activités déclarées, sa mission de BIM Manager.
Face à ces constats, entre amélioration de la prévention du risque, baisse de la sinistralité et facilitation de l’exercice des recours, se pose la question de l’impact tarifaire en matière de prime d’assurance. Nous pourrions nous attendre à un effet positif sur la réduction de ces primes. Cependant, en l’état actuel, il est encore trop tôt pour donner une réponse claire et définitive sur ce sujet car les assureurs n’ont pas assez de recul pour évaluer l’impact que peut avoir le BIM sur la sinistralité de leurs assurés. Ainsi, si le BIM n’en est qu’à ses balbutiements dans le domaine de la construction en France, il soulève pas mal d’interrogations dans le domaine de l’assurance ; entre apports bénéfiques supposés en termes de prévention de sinistres et d’instruction des contentieux, nouveaux risques induits par cette nouvelle technologie et impact tarifaire, il faudra patienter encore quelques années pour avoir une idée du ration coûts/avantages de cette dernière.